Mémoire de l’ Association des femmes autochtones du Canada

Sommaire

Le mémoire que l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) présente dans le cadre des consultations prébudgétaires porte principalement sur 1) l’absence de parité dans le financement et le traitement des services d’aide à l’enfance des Premières nations et 2) le financement de l’éducation des Premières nations et de la recherche sur le sujet, au Canada[1]. Les données qui montrent l’inégalité de la prestation des services gouvernementaux aux enfants des Premières nations vivant dans les réserves au Canada sont abondantes (Assemblée des Premières nations, 2007; Vérificatrice générale du Canada, 2008; Conseil canadien du bien‑être, 2009; Comité permanent des comptes publics, 2009). Les enfants des Premières nations sont tragiquement surreprésentés dans les systèmes d’aide à l’enfance canadiens. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) accorde aux organismes autochtones de services à l’enfance et à la famille un financement inférieur de 22 % à celui qu’il accorde à leurs homologues provinciaux. Un enfant autochtone a 12,3 fois plus de chances qu’un autre enfant d’être un placé en foyer d’accueil au cours de l’exercice 2009‑2010. Une forte proportion, soit 30 %, des enfants autochtones, qui représentent 3,8 % de la population canadienne, sont placés en foyer d’accueil[2].

Le sous‑financement de l’éducation élémentaire constitue aussi un grave problème. De nombreuses écoles de Premières nations situées dans des réserves sont dans un état misérable, ou en décrépitude. L’éducation des Premières nations n’est pas financée au niveau provincial, comme souligné dans les rapports mentionnés ci‑après. L’AFAC présente donc les recommandations suivantes, qui fournissent le coût estimatif des fonds nécessaires pour les services d’aide à l’enfance et l’éducation des Premières nations, aux pages quatre et cinq du présent mémoire.

1.    Le principe de Jordan et la prévalence des cas d’aide à l’enfance au Canada

Le Canada utilise actuellement trois grandes politiques de financement pour la prestation de ses services à l’enfance et à la famille des Premières nations : la directive 20‑1, utilisée en Colombie‑Britannique et au Nouveau‑Brunswick et, de façon générale, considérée la plus inéquitable, la Convention sur le bien-être des Indiens de 1965, qui est appliquée en Ontario et qui n’a pas été mis à jour ni réexaminée depuis 46 ans ainsi que l’accord de financement amélioré appliqué en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Nouvelle‑Écosse et au Québec. De plus, le Canada (le fédéral‑F) et les provinces et territoires (PT) ne s’entendent pas toujours au sujet de l’ordre de gouvernement à qui il revient de payer pour les services fournis aux enfants des Premières nations dans les cas où les mêmes services sont offerts à tous les autres enfants. Les auteurs d’un rapport de 2005 ont recensé 393 différends entre les gouvernements FPT dont les activités touchent les enfants des Premières nations. Les enfants des Premières nations actuellement en foyer d’accueil sont trois fois plus nombreux qu’au sommet de la vague des écoles résidentielles. Les inégalités ne se limitent pas au domaine de l’aide à l’enfance, mais se transposent aussi dans les dossiers du financement de l’éducation, du logement, du financement des soins de santé et des mesures d’aide du secteur bénévole financées par les fonds publics. http://www.straight.com/article-254075/cindy-blackstock-and-andrea-auger-reconciliation-cant-be-empty-promise-first-nations-children

Une motion d’initiative parlementaire présentée par le député Jean Crowder, adoptée à l’unanimité à la Chambre des communes en 2007, proposait ce qui suit : « […] de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait immédiatement adopter le principe de l’enfant d’abord, d’après le Principe de Jordan, afin de résoudre les conflits de compétence en matière de services aux enfants des Premières nations. » Jordan avait cinq ans lorsqu’il est décédé à l’hôpital, en raison d’un conflit de compétence fédéral‑provincial sur le plan du financement. http://www.fncfcs.com/fr/jordans-principle . Toutefois, le Principe de Jordan a été interprété de façon stricte. Il ne s’applique qu’aux enfants ayant des besoins médicaux complexes et plusieurs fournisseurs de services. Quelques mois seulement après l’adoption à la Chambre des communes du Principe de Jordan, le Canada et le Manitoba ont eu un différend quant à la question de savoir qui devait payer les sondes d’alimentation de deux enfants atteints d’une maladie chronique qui vivaient avec leur famille dans une réserve. L’Association des femmes autochtones du Canada est extrêmement préoccupée par la hausse du nombre d’enfants autochtones en foyer d’accueil au Canada qui, en raison de la pauvreté et de l’impossibilité d’avoir accès à des services, ont souvent dû être séparés de leur famille.

2.    Financement de l’éducation : le rêve de Shannen

« Je m’appelle Shannen Koostachin. Je suis une Innanu Mushkegowuk, provenant d’une collectivité isolée appelée la Première nation Attawapiskat. Mes parents s’appellent Jenny et Andrew. J’ai trois frères et trois sœurs. J’ai quatorze ans. J’ai terminé avec succès mes études dans une école élémentaire qui s’appelle JR Nakogee elementary School, et je vais devoir aller à l’école quelque part dans une région au sud si je veux avoir une meilleure éducation, parce que je veux réaliser mon rêve de devenir avocate. Au cours des huit dernières années, c’est‑à‑dire depuis que je vais à l’école, je n’ai jamais suivi de cours dans une vraie école. Ce qui m’a inspirée, c’est lorsque je me suis rendu compte, en huitième année, que pendant tout ce temps, huit longues et difficiles années, nous allions à l’école dans des classes mobiles. Nous devions enfiler nos manteaux, sortir et affronter les intempéries juste pour aller à la salle d’ordinateurs, au gymnase ou à la bibliothèque. »

(http://www.fncfcs.com/fr/shannensdream )

Appuyés par plus de 47 000 personnes, les propos qui précèdent sont de Shannen Koostachin. L’école secondaire de la collectivité natale était située sur un terrain désaffecté contaminé. Le rêve de Shannen est appelé ainsi en mémoire de Shannen Koostachin, de la Première nation Attawapiskat. C’est une campagne pour des écoles en bon état et confortables et pour une éducation équitable et culturellement adaptée dans les réserves. Shannen avait écrit au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies en 2008 et avait été nommée candidate au Prix international de la paix des enfants aux Pays‑Bas, en 2008. Elle et sa famille avaient pris une décision difficile : elle allait s’exiler à des centaines de kilomètres de son foyer pour obtenir une éducation de qualité hors réserve. Shannen aurait dit que les enfants « perdent espoir en cinquième secondaire et décrochent. » [traduction] Shannen est décédée de façon tragique dans un accident de voiture, au printemps 2010, à l’âge de 15 ans, tandis qu’elle fréquentait une école loin de la résidence familiale.

En fait, les enfants des Premières nations vivant dans une réserve au Canada reçoivent un financement pour les études inférieur de deux à trois mille dollars à celui que reçoivent les autres enfants. De plus, dans bon nombre de ces écoles, les conditions sont déplorables. Certaines d’entre elles sont infestées de serpents, de rats ou de moisissure noire ou encore sont situées sur des sites d’enfouissement de déchets contaminés. De nombreuses collectivités des Premières nations n’ont pas d’école, ce qui veut dire que de très jeunes enfants doivent être envoyés à des centaines de kilomètres simplement pour être scolarisés.

Selon les estimations actuelles, les enfants des Premières nations vivant dans une réserve reçoivent de deux à trois milles dollars de moins par élève pour les études élémentaires et secondaires que les autres enfants, même s’ils sont beaucoup moins susceptibles de terminer leurs études secondaires. En raison de cet écart, il y a moins de fonds pour les enseignants, l’éducation spécialisée, les ressources pédagogiques comme les livres, le matériel pour les sciences et la musique et d’autres éléments essentiels dont bénéficient les autres enfants canadiens. AADNC ne fournit pas d’aide financière pour les postes de dépenses de base comme les bibliothèques, les logiciels informatiques et la formation des enseignants, la conservation des langues menacées des Premières nations, les programmes d’études culturellement adaptés ou les directeurs d’école.

Le directeur parlementaire du budget (DPB) a effectué en 2009 un examen du financement et des politiques d’AADNC pour les écoles des Premières nations au Canada. Il a constaté plus particulièrement que, selon le Ministère, seulement 49 % des écoles dans les réserves sont en bon état, 76 % de toutes les écoles des Premières nations de la Colombie‑Britannique et de l’Alberta étaient en mauvais état et que 21 % des écoles n’avaient tout simplement pas été inspectées.

Une école au Manitoba a dû être fermée et remplacée par des maisons mobiles, parce qu’elle avait été infestée par des serpents. Les serpents avaient infesté le système d’alimentation en eau, de sorte que lorsque les enfants ouvraient le robinet, il en sortait des bébés serpents. Un autre groupe d’enfants du Manitoba ont dû commencer l’école en 2009 dans des tentes, parce qu’il n’y avait pas de bâtiment scolaire disponible dans leur collectivité.

Certains enfants des Premières nations fréquentent l’école selon un système de quarts, parce que les écoles sont si surpeuplées qu’il n’y a pas suffisamment de place pour que les élèves assistent aux cours tous en même temps. Il est chose courante, pour de nombreux enfants des Premières nations, de devoir être envoyés loin de leur famille et de leur collectivité pour aller à l’école, s’il n’y a pas d’école dans leur collectivité. Dans l’ensemble, le DPB a constaté que les 803 écoles des Premières nations allaient toutes devoir être remplacées d’ici 2030, mais AADNC ne semble pas être en voie de prendre les mesures nécessaires. Le Ministère semble en effet sous‑estimer largement les fonds nécessaires pour entretenir et construire des écoles. « Par conséquent, conformément aux projections du DPB, pour l’AF2009‑2010, les plans de dépenses en immobilisations d’AINC sont sous‑financés annuellement de l’ordre de 169 millions de $ dans le meilleur scénario et de 189 millions de $ dans le pire scénario, comme l’illustre le tableau à la droite. Par conséquent, les dépenses en immobilisations prévues annuelles, conformément au PILT PIE d’AINC, sous‑estiment manifestement les dépenses vraisemblables comparativement aux projections du meilleur scénario et du pire du DPB (de plus de 58 %). »

3.    Recommandation de l’AFAC pour une enquête nationale sur les disparitions et les meurtres de femmes et de filles autochtones

L’AFAC demande maintenant une enquête nationale qui aurait pour mandat d’examiner la question des disparitions et des meurtres de femmes et de filles autochtones au pays. L’Association s’attache à trouver des façons de collaborer étroitement avec le gouvernement fédéral à définir la portée et l’organisation d’une enquête de ce genre et à faire en sorte que l’on fasse appel à ses compétences spécialisées et ses connaissances lors des délibérations.

L’AFAC demande l’aide de tous les gouvernements pour la tenue d’une enquête nationale qui pourrait examiner efficacement, avec la pleine participation des femmes autochtones, la question de la violence faite aux femmes et aux filles autochtones.

Recommandations

Dans son discours du Trône du budget 2011, le gouvernement a également prévu de l’aide additionnelle pour la culture et les collectivités avec de nouvelles mesures budgétaires, y compris de l’aide aux populations autochtones(p. 114) et des investissements destinés à appuyer les priorités en matière d’éducation, de services à l’enfance et à la famille, de services d’alimentation en eau et de logement des Premières nations, de services de santé des Premières nations et des Inuits ainsi que de développement des compétences et de formation des Autochtones (p. 117).

1.    Recommandations de l’AFAC en matière de services d’aide à l’enfance et à la famille nationaux

Le vérificateur général du Canada n’a pu établir dans son rapport de 2011 le montant total des dépenses engagées en matière d’aide à l’enfance au pays, mais l’AFAC appuie les recommandations suivantes qu’il a formulées dans ce rapport :

« 4.74 Affaires indiennes et du Nord Canada devrait déterminer l'ensemble des coûts nécessaires au respect des exigences du Programme des services à l'enfance et à la famille des Premières nations. Il devrait aussi examiner périodiquement le budget du Programme pour s'assurer que celui-ci continue de satisfaire les besoins et de minimiser les répercussions financières du Programme sur d'autres programmes ministériels. »

L’AFAC appuie les recommandations suivantes de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations du Canada :

AADNC doit prendre, en partenariat avec les Premières nations, des mesures immédiates pour corriger entièrement les inégalités et les problèmes structurels liés à la Directive 20‑1, à l’approche de financement améliorée et à la Convention sur le bien‑être des Indiens de 1965, qui ont été recensés dans les rapports de spécialistes et par la vérificatrice générale du Canada. AADNC doit appuyer d’autres scénarios de financement et options stratégiques proposés par les Premières nations pour les services à l’enfance et à la famille des Premières nations autres que l’approche améliorée, la Directive 20‑1 et la Convention sur le bien‑être des Indiens de 1965, que la vérificatrice générale a considérées inéquitables. [traduction]

Lorsque les spécialistes en aide à l’enfance des Premières nations ont rédigé les deux premiers rapports afin de corriger les inégalités du financement des services d’aide à l’enfance des Premières nations (McDonald et Ladd, 2000; Loxley et coll., 2005), le gouvernement fédéral exploitait un budget excédentaire de plusieurs milliards de dollars. Dans le deuxième rapport, intitulé Wen :de : the Journey Continues (Loxley et coll., 2005), il était mentionné qu’une aide additionnelle de 109 millions de dollars en financement de l’aide à l’enfance dans les réserves, sauf en Ontario et dans les Territoires, et que certaines modifications aux politiques s’imposaient. Le coût de la solution Wen :de représentait moins de un pour cent du budget excédentaire du Canada. Il était aussi mentionné dans le rapport qu’il fallait effectuer un examen spécial pour évaluer la comparabilité de la Convention sur le bien-être des Indiens de 1965 et corriger les inégalités.

Le financement des services d’aide à l’enfance des Premières nations annoncé dans le budget fédéral de 2008 (ministère des Finances, 2008) ne couvrait que 23 % par année de la somme nécessaire. Le gouvernement a annoncé dans son budget de 2009 une aide additionnelle de 20 millions de dollars sur deux ans (ministère des Finances, 2009). La somme des montants prévus dans les deux budgets représente le tiers de l’aide recommandée par année (sauf en Ontario et dans les Territoires) pour obtenir l’égalité. http://www.fncfcs.com/sites/default/files/docs/SenateCommitteeOn%20HumanRights_2000.pdf

Une analyse économique détaillée a révélé qu’une somme additionnelle de 109 millions de dollars par année en financement fédéral des services d’aide à l’enfance était nécessaire pour garantir un niveau d’équivalence de base avec les niveaux de financement provinciaux, supérieurs de 22 %. Les mesures les moins perturbatrices offertes aux familles des Premières nations afin de garder leurs enfants à la maison, en toute sécurité, constituaient le principal poste sous‑financé. Un nombre plus important que nécessaire d’enfants des Premières nations vivant dans une réserve devaient donc être placés en foyer d’accueil (Blackstock, Prakash, Loxley et Wien, 2005).

Une enquête menée dernièrement auprès de 12 organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières nations a révélé que les 12 organismes avaient vécu 393 différends en matière de compétences au cours du dernier exercice. Le règlement de chacun d’entre eux a nécessité en moyenne 54,25 heures‑personnes.

2. Recommandations sur l’éducation des Premières nations et la recherche qualitative : L’AFAC appuie les énoncés et les recommandations du vérificateur général du Canada (5.27) : « Affaires indiennes et du Nord Canada, après consultation des Premières nations, devrait élaborer et mettre en œuvre immédiatement une stratégie globale et un plan d’action complet, assortis de cibles, pour combler l’écart de scolarisation. Le Ministère devrait aussi rendre compte de ses progrès au Parlement et aux Premières nations en temps utile. » « Affaires indiennes et du Nord Canada devrait tenter d'obtenir une information fiable et uniforme sur les coûts réels de la prestation des services éducatifs sur les réserves et comparer ces coûts à ceux de services semblables dans les provinces. » (5.51), « Affaires indiennes et du Nord Canada, après consultation des Premières nations, devrait accroître les efforts déployés pour élaborer et appliquer des indicateurs de rendement et de résultats appropriés ainsi que des cibles connexes. » (5.46) et « […] le Ministère doit de toute urgence, après consultation des Premières nations et d'autres parties, définir ses rôles et ses responsabilités ainsi que régler les problèmes de longue date qui touchent l'enseignement primaire et secondaire offert aux Premières nations. Il doit également améliorer son rendement opérationnel et la communication des résultats. » (5.7 : Rapport du vérificateur général de 2011).

3. Recommandation de l’AFAC pour une enquête nationale sur les disparitions et les meurtres de femmes et de filles autochtones

L’AFAC demande à tous les gouvernements de payer pour la tenue d’une enquête nationale qui examinerait la question des disparitions et meurtres de femmes et de filles autochtones au pays. Les gouvernements travailleraient en étroite collaboration avec l’Association et les collectivités autochtones à la définition de la portée et de l’organisation d’une enquête du genre et examineraient efficacement le problème de la violence faite aux femmes et aux filles autochtones.



[1] Les renseignements présentés dans le présent mémoire sont principalement tirés d’un rapport parallèle de Cindy Blackstock, Ph.D. intitulé Jordan and Shannen (28 janvier 2011).